La matrice et la machine

Vincent Ravalec

Artwork by Elephnt

La Matrice

Lorsque les explorateurs sondèrent la Matrice, ils virent qu’elle se composait de bouts de choses, de poussières, de débris, de souvenirs oubliés, de détritus divers. La nature qu’elle engendrait en était une émanation, excroissance rampante manifestant la capacité de l’Univers à se renouveler en réinventant à l’infini de nouveaux possibles.

L’homme, minuscule organisme posé à sa surface, capable de transformer son environnement, de réfléchir et d’analyser sa structure psychique, de faire varier ses composantes biologiques, était un intercesseur éventuel permettant à la Matrice d’accoucher de nouveaux êtres.

Au sein de la Matrice se trouvaient des clefs d’or. Y étaient gravées des poésies hermétiques. On eût dit de bizarres comptines. Le langage permettant de les déchiffrer devait avoir été oublié.

Si l’on essayait, cela donnait des formules ressemblant à ces dictons stupides qui ont cours chez les scouts ou qu’on trouve dans le manuel des Castors juniors, qui parlait du respect de l’autre, de la beauté de la vie.

Cela plongea les explorateurs dans la plus profonde perplexité.

 

La Machine

Lorsque les explorateurs découvrirent la Machine, ils comprirent qu’elle se composait de restes de gaz, de matières inertes sollicitant la grâce du mouvement.

Les objets qu’elle engendrait en étaient l’émanation, architecture définitive et figée manifestant la capacité de l’Univers à poser des limites formelles permettant d’appréhender l’inappréhendable et de juguler sa folle croissance.

L’homme, minuscule organisme posé à sa surface, capable de transformer son environnement, de réfléchir sur sa propre structure psychique et de faire varier ses composantes biologiques, en était un des instruments. Pour accoucher de lui-même et parvenir à un nouvel état de son être, il devait apprendre à s’en servir, mais également, à terme, s’en affranchir.

Au sein de la Machine se trouvaient des clefs d’or. Y étaient gravées des incantations étranges. On aurait dit des formules ésotériques dont le langage permettant de les déchiffrer devait avoir été oublié.

À l’essai, cela donnait des formules bizarres ressemblant à ces formulations légalistes idiotes, qui permettent entre autres de réguler les déplacements, de garantir la sécurité et de quantifier les responsabilités, la genre de recommandations qu’on trouve dans le code de la route.

Inutile de dire que cela plongea les explorateurs dans la plus complète perplexité.