de Le Tigre et la chose signifiée

Pierre Peuchmaurd

Lueurs

Lueurs du monde : le corbeau de la rivière étend ses grandes ailes bleues sur l'ombre qui se noie.

*


Sur la pierre jaune, une crinière blanche — lueur du vent.

*


Lueurs du feu dans le miroir : la rousse revient, corps et marées.

*

Lueur la peur : c'est un collier entre tes seins, la nuit l'arrache d'un sanglot sec.

*


Lueurs de l'aube, danse barbelée. Lueurs des arbres, il faut partir.

*


Ce n'est pas une bête blanche, c'est un trou dans le ciel.

*


Lueurs du loup, louve de lumière — le chêne aboie dans leur chant double.

*


Roche ou bruyère, lueurs du coq. Le désir bat les crêtes, la campagne et les lunes.

*


Lueurs des lianes. Lutteurs liés par le lion, la lance et l'indigo.

*


C'est un roi, c'est une chaise, c'est un phare dans l'argile.

*


Lueurs des lacs, du fer, des filles. Lueurs des brumes et des essarts.

*


Lueurs des plumes, des petites robes et du remords. Lueurs du sang dans le jardin.

*


C'est une épaule.   

*


Lueurs des flèches. Lueurs des loutres dans la proie.

*


Et de la rouille des mains ouvertes. Lueur des plaies sur le couteau.

*


Le sable luit comme le rien luit, comme rien ne luit, comme ciel et plomb sur la terrasse. Le sable coule, il ne luit pas.





Ecume des lions

Il pleut, on compte les cœurs du palmier. Ailleurs, un mur flambe sur le ciel blanc, des lions bleus soupirent après des proies bleues. Les lions, dis-tu, ne soupirent pas. Je regarde les proies, je soupire. La porte du désert s'est refermée sur nous.

*


Leurs queues fouettent le sable. Dans l'air, une crinière à portée de tes lèvres. Les trois lionnes aux yeux jaunes ont bien plié l'échine, mais au vent de la terre, pas au grand membre absent que tu mords dans ton rêve. Une colonne blanche soutient la nuit.

*


Obscurs les lions dans les couloirs, et où vont-ils ? Légers les lions sous les cascades, broyés de blanc, leurs os, leurs chairs jetés au monde, écume de lions. L'horaire des soifs les ahurit, et la gazelle qui rit couchée, la fille de l'air aux crocs de plomb.

*


Les lions de cuivre, les bracelets d'os et les nabules tintent dans le soir. Le chasseur noir étend sa harpe jusqu'au matin. Le ciel est haut, l'oiseau de l'eau vole comme un lion. Cargos de roses, trains de poussière, la harpe s'étend et le lion n'a plus d'ombre. Des trains de poussière, du sang de cuivre.

*


A midi, les lions sont un peu de sable. A midi, les lions sont des ronds de fumée, des radeaux de lumière, des haies de dentelle, des mirages de sel et d'émeraude. A midi, les lions ont les yeux fermés sur l'attente de la nuit qui les verra dressés et vous léchant le ventre—la nuit de sang caillé à vos reins, à vos ruines.

*


Mais dans le songe des lionnes, un ou mille c'est pareil. Tout rugit, tout se tait ; l'aube ne lève pas un souffle. Comment s'appelait ce zèbre ?      





© L'Escampette Editions, 2006.