IV
Musiciens encore quelques minutes
le croissant de lune pâlit
tandis que le soleil monte à l’horizon
l’aube rosit
Voilà l’heure préférée entre toutes
bientôt il faudra lever les enfants
Il y a comme cela des jours tranquilles
où on se laisse aller à rêver d’une vie semblable
à toutes les vies sur terre
une vie dans laquelle l’on habiterait des lieux
que l’on n’aurait pas quittés
Et puis il y a les jours qu’il faut marquer d’un signe
fiançailles épousailles naissances
Les convives seront bientôt là
les grandes tables sont dressées
la musique est prête à s’envoler
la nuit sera pleine de danses et de chants
Musique
V
Musiciens je vous parle d’un pays
englouti dans une faille de l’histoire
d’un peuple choisi pour payer le prix
d’un autre sacrifice
d’une histoire de plus de cent ans
pleine de fureur de bruit et de sang
Derrière les mots trafiqués
guerre propre
frappe chirurgicale
c’est toujours la même réalité noire
Pillages chantage extorsions
Soleil décapité lune vitriolée
Nuages crevés d’avoir trop déversé de bombes
Les animaux affamés se nourrissent de balles
s’ils le pouvaient ils courraient se jeter à la mer
pour s’y noyer
Territoire traversé de colère et de rage
Tremblement du jour et du béton
les immeubles s’effondrent
l’un après l’autre
sur des humains coupables
de vouloir vivre
Un seul choix mourir ici ou là
Ruines sur ruines
et parmi les ruines une vision
une poupée de chiffon
sur le mur Batman bondit
à côté d’une souris rose
un cerf-volant s’est fait la malle
une guitare désarticulée sur la table
près du sofa quelques coussins
une chaise en plastique
Au milieu de la pièce flottent
les longs cheveux noirs de Yasmine
Brahim lui chuchote à l’oreille
des histoires du temps qu’il fait
et des jeux qui ont repris sur la plage
C’était ma chambre . . .
Les criquets se répandent dans les champs
et rongent les plantes jusqu’à la racine
L’histoire fait plus que balbutier
Arès dieu de la guerre a levé le bras
Le carnage peut commencer
Tout brûle champs et villes
D’immenses champignons
fleurissent dans les cieux
Plus de poules dans le poulailler
Cadavres de chevaux et de bêtes
Les médecins cherchent les âmes
Sont-elles encore là?
Ont-elles déjà quitté les corps?
Partout l’odeur âcre de la mort
Temps d’infinie tristesse
Ô Palestine de rose et de jasmin
habillée de dignité rêvant d’impossible
Ivres de puissance ils ont accroché ta dépouille
à l’arrière de leurs chars
et défilent en faisant le V de la victoire
pour parfaire ton écartèlement
Est-ce ainsi que les hommes vivent
et leurs baisers au loin les suivent?
Musique
VI
Dans l’arène corrida parfaite
espace clos ce ghetto de Méditerranée
avec pour point d’orgue la mise à mort
sous les applaudissements des afficionados
groupés sur les hauteurs
Le matador vise par devoir
Rien ne doit bouger
Ni femme ni enfant
Ni jeune ni vieillard
S’ils sont restés c’est
parce que ce sont des combattants
affirme le Commandant
ou alors des mères et des pères
de combattants
des ancêtres de combattants
des enfants de combattants
des enfants d’enfants de combattants
Tous sans exception
Le matador vise par lassitude ou par ennui
des fois « juste-pour-le-plaisir »
Tuer-juste-pour-le-plaisir
TUER PLAISIR TUER PLAISIR
TUER PLAISIR TUER PLAISIR
La guerre est une drogue dure
qui exige la répétition
pour être à la hauteur de l’infini de la mort
Flammes de vie et poussière d’étoiles mêlées
tourbillonnent sans fin dans un gouffre
insondable
Au bord de l’abîme les yeux des survivants
interrogent
Qu’êtes-vous devenus
et vous qui les regardez?
VII
Musiciens je vous parle d’une vie dans l’œil du cyclone
fracassée par les assauts des vagues scélérates
d’une vie chavirée dans la zone des quarantièmes
rugissants
d’une vie lézardée à la merci des Puissants
Le grand frère d’Amérique qui agite frénétiquement
son hochet sur lequel est marqué Droit de veto
Dame Europe qui vêtue de sa belle robe
observe du haut de sa tour les peuples « inférieurs »
se débattant en enfer
Elle ne sait que répéter en dodelinant la tête
la même ritournelle
de Ton Nom de Palestine
Olivia Elias
Listen to the original read by the translator Jérémy Robert:
This excerpt from Your Name, Palestine, Olivia Elias’ collection of poetry, bears the hallmarks of the epic genre. The first challenge we encountered as translators was to make the plurality of its voices heard: the ancient choir and the musicians echoing the voice of the witness; the contemporary mythology and the preparations for the disaster foretold; and the refrain of the massacres and the concert of guardian voices that, from Aragon to Césaire, escorts the memory of a lost land. We then had to find the implacable scansion of tragedy underlying the melody of pain: finding the right rhythm and words to convey the changes of focus; the vision of a childhood in ruins emerging from the ruins of war; the double use of music; the dream of a wedding beating to the drum of death; the news of a country in tatters “engulfed in a fault of history;” and the unfathomable sadness of this “rose and jasmine Palestine,” whose heart is still filled with the laughter of children playing on the beach. Finally, we had to become the spokespersons for the dry and disillusioned lyricism to which the poet resorts in order to lend prestige—in anger, noise, and blood—to a country that has been put to death; to spell out the alphabet of chaos so as to decipher the language of sacrifice; and to stay as close as possible to the striking parsimony of the description which, in the same movement, curses the conquistadors that are “drunk with power” and the aficionados of carnage, in order to better praise the survivors of a people “struggling in hell.”
—Jérémy Robert
Olivia Elias was born in Haifa in 1944 and is a poet of the Palestinian diaspora. She has published three books, namely L’Espoir pour seule protection (alfAbarre, 2015), Ton nom de Palestine (Al Manar, 2017), and Chaos, Traversée (La Feuille de thé, March 2019). Her poems convey a powerful sense of brotherhood with all the outcasts of the world. They bear the stigmata of exile and roaming, and show how difficult it is for someone that has been uprooted and oppressed to grow and mature. Her poems have been translated into English, Arabic, Spanish, Italian, and Japanese, and have appeared in many journals, including ArabLit Quarterly, Poetry London, World Literature Today, いのちの籠 (Basket of Life), Alaraby UK, The Barcelona Review, The Adirondack Review, Poésie/première, and Terre à Ciel. In the United States, the manuscript of Chaos, Crossing, & Other Poems, translated by Kareem James Abu-Zeid, will be published in 2022 by World Poetry Books.
Sarah Riggs is a poet and filmmaker. She was born in New York, where she is now based after having spent over a decade in Paris. She is the author of books of poetry in English, including The Nerve Epistle (forthcoming with Roof Books, fall 2021), Eavesdrop (Chax, 2020), Waterwork (Chax, 2007), Chain of Minuscule Decisions in the Form of a Feeling (Reality Street, 2007), Sixty Textos (Ugly Duckling, 2010), Autobiography of Envelopes (Burning Deck, 2012), and Pomme & Granite (1913 Press, 2015), which won a 1913 Poetry Prize. She has translated six books of contemporary French poetry into English, including, most recently, Etel Adnan’s TIME (Nightboat Books, 2019), which won the Griffin International Poetry Prize and the Best Translated Book Award in 2020. She is the director of the international arts organization Tamaas, which focuses on earth arts justice and film, and runs an annual poetry translation seminar. Visit her website here.
Jérémy Robert is a translator between English and French and a poet who works and lives in his native Réunion Island. He has recently published French translations with the following English titles: Eugénie Paultre’s Matter of Life (Heni, 2021), Sarah Riggs’ Murmurations (APIC, 2021, with Marie Borel), Donna Stonecipher’s Model City (joca seria, 2020), and Etel Adnan’s Sea & Fog (Nightboat Books, 2012). Robert is currently working on translations of Michael Palmer’s Laughter of the Sphinx, and Rufo Quintavalle’s Weather Derivatives.
