Quatre Poèmes
Monchoachi
Aleph
au motif d’Aimé Césaire
Pas à pas nos ombres
Se réfractent
Plus minéral
Nous sommes
Chaque pas nous contracte
Et apprécie
En nous
Nous retirons
Nos pieds nos
« Peux-pas ».
*
Toujours
Au natal
Ils font retour
Toujours au limon
Nos mots
Contre temps
Ouvrant
Avois de revirements :
Restent l’émoi
Et le pôle
La case où se tient la lune
Le poète, comme l’Indien, l’oreille tendue collée au sol. Il perçoit ce qui a eu lieu et résonne encore et ce qui vient.
Il vient des couleurs fauves de Carême à s’affoler.
Il entend parler créole dans un gosier créole (ce qui est rare et émouvant).
Il note cette singulière manière que nous avons de nous dévisager.
La géographie est un « montrer ». Elle est figure. Comme toute écriture, elle est d’abord marquage, empreinte faite en marchant.
Qu’y a t-il de plus catastrophique que l’écriture et la terre ?
*
Chez nous, le passage du créole au français et vice versa comme un art subtil qui s’apparente au jeu de jambes au football : il fait alterner une manière de distinction et de convenance sociales avec le pur plaisir du mot et de la parole dans la bouche. Le grand art est dans la conjugaison, et d’y laisser paraître certain chatoiement.
Il y a comme cela des lieux sourds où la tendance naturelle est de forcer la voix. En Caraïbe, du fait d’un relief souvent chaotique (de morne en morne) et d’une géographie éparse (d’île en île) nous nous sommes accoutumés au saut. Nous avons pris l’habitude ici de nous héler.
Ce relief et cette géographie bondissants (de morne en morne, et d’île en île), il en perçoit l’écho en créole dans la forme de la réduplication : di i di sa / mennen pou mennen-y alé / ralé menm i ka ralé-y. Héritage de la langue des Caraïbes.
Le poète voit les îles (« oui, elles étaient nombreuses, les îles, et belles ») comme un texte dans lequel les consonnes ne seraient que des rochers où simplement poser le pied pour bondir dans l’ouvert du ciel et de la mer comme dans ces mots caraïbes :
bonambaé — kabonakati — amalaka.
« Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables … »
*
Eti jou ka kouri ouvè kon an wélélé.
Le jour s’y lève comme une querelle. Tel un démêlé d’amants qui a pris souche dans le songe. Comme ces oiseux pipiris qu’on y voit parfois se heurter en plein vol, dans un grand battement d’ailes. Et ils se départissent si vivement qu’ils nous laissent dans les yeux un scintillement un grand morceau de ciel blanc.
*
La Caraïbe peut être perçue comme un atelier du monde moderne : avec ses déportations, ses exterminations, et puis aussi son côté « désordonnément multiple", son « ubiquité par les voix et par les sons ». Sa diphtongue.
« À vendre …
les voix reconstituées … l’occasion, unique, de
dégager nos sens !
À vendre les corps sans prix …
À vendre les applications de calcul et les sauts d’harmonie inouïs …
À vendre les corps, les voix … »
*
Pleine lune. Les nuages nous font souvenir de nos vagabondages. De nos échappées. Comme l’archipel dans son déploiement, le poème.
Où se teint la Caraïbe ? Quel est son lieu ?
« Ce monde, une rosée,
Je le veux bien :
Pourtant, pourtant … »
« Il faut se hâter
L’Histoire va fermer. »
La case où se tient la lune ouvre le temps de la veille.
Le multiple, la multitude
Summa ratio est Deus
« Et que la multitude derrière eux qu’ils guidaient … »
En pile corps broyé pétri
façonné
suie et fumée à la terre mêlée
collé-collé maché mouri.
Technikos en son aire espanoui,
Temps du Glazing : mode in-oculus
Servitude qui adhère par la bouche et par le cœur
la multitude par toute la terre
(« au bout de l’univers leurs mots »)
l’obéissance par la puissance des signes
loin-loin longtemps pluss passé pièce modèle
forge fonte fondrie
javelotte fendoir et masselotte,
Masque de gypse portent les Titans tueurs du dieu
« leur gosier, un sépulcre »
et leur rosaires
et leur rabadairs
et leur lodères callibistris plein nez à redondance.com
science-sublime-sans-limite,
Beillevezées soufflées gaillées dis-
séminées odeur graisse frite
mirifique bouquet de benêolence
belinement dispersé dans l’Universe
racine et branches djérit-tout’
hauts rameaux
guérissant rage furoncle érysipèle
pour le saulvement des divines ômes :
pêle-mêle scribes et parschi
pêle-mêle garces et ocieux
prélates et pucelles (étiii…)
Paraît-i ya l’air pour ion million nanges
nantis les lettres
Chimères au front blanc
L’un à l’un enchainés de chaines d’or
Fils l’Aleph soustraits du néants
Les Fastes voyagent à travers la terre
Traces blanches vibrantes, coulent
S’écoulent, fouillent,
Colonisent, usurpent
Vent du Nord fait pivoter la meule,
Hélicé
disque sacré, doux chaudron.
Zagreus dégrainé, dépiécé,
Gorgé de viande d’âne
L’homme dans le monde indéfiniment se dédouble.
L’en haut, l’En bas
Ses disciples dirent : nous connaissons l’ordre des sphères du haut
vers le bas, mais celui du bas vers le haut, nous ne le connaissons pas.
Il leur dit : n’est-ce pas la même chose si l’on compte du haut vers
le bas ou du bas vers le haut ?
Ainsi en va t-il
Et les étoiles, légions et messagers sans nombre
dans l’espace du ciel
Et la lettre, en tête,
où sont suspendus les êtres
celui-ci celui-là face à face
Et dès lors se déverse Cela
Et se renverse la mer vers
la mer, présage et engendrement,
rassemble et réconcilie
les eaux dans le creux de la main
Figure et ordonne visage d’homme :
traits modelés selon les signes
gravés dans le frémissement du temps,
scrutés dans les quatre horizons
ainsi,
Présence dans l’En-bas parée belle
oui, elle est belle, scintille : l’air flamboie
à l’image et dans la semblance
L’En-haut, portail et ouverture du monde,
enjôlés de mélodies qui dansent
dansent cadence et rythme qui ascendent Sans-fin
mesure, feu palpitant
Deux visages même,
Lumière/obscurité se ravissant l’un l’autre
Et se charrient
Dans le chant tumultueux
La terre qui recueille le Tout et s’en nourrit ;
qui recueille et obscurcit
Ainsi du lieu d’où émergent la mer et les jours,
jour Un
fraye les chemins dans l’abîme
Pèse les eaux moitié-moitié,
les eaux et les eaux
Dissimule et dévoile dans le secret du
Deux, la Maison du monde
trois rayonnements dessus l’abîme,
entrelace l’un à l’autre aux souffle et feu,
une seule parole, un seul dire
une seule lettre
calée
entre ciel et terre
La pluie tombe
Et le rideau qui interpose
Sagesse, discernement et
Connaissance
cette grande allusion
faisant signe dans les recoins secrets
gayant
voir sans voir, chuchotements sans voix
Raillant séjour, pays natal, os des os,
côté
murmure infime
paroles encloses brillant d’éclat enclos
éclairent ce qu’elles éclairent
à travers l’obscur, depuis le gouffre
la caverne,
depuis l’enceinte de la gorge,
la voix contre les lèvres,
la fine voix qui faillit
remontant des eaux, des tombeaux
Parole qui couve et abrite sous ses ailes
fille de lumière
la joie nichée oubliée dans les plis de la terre féconde
souffle dans le souffle
nœud de vie
rien, articulé
Sur lequel le monde entre et sort
Et ainsi reste
qui prodigue les noms, en clarté
les engendrements, les couleurs, les cantiques
Le candélabre d’or pur le prodige
La parole un/tout qui dévoile corps-là,
le côté du monde ciel et terre,
laisse parler le souffle pour écouter entendre
enchanter
Et Sentinelle au Levant
Même mener esplendir.
au motif d’Aimé Césaire
Pas à pas nos ombres
Se réfractent
Plus minéral
Nous sommes
Chaque pas nous contracte
Et apprécie
En nous
Nous retirons
Nos pieds nos
« Peux-pas ».
*
Toujours
Au natal
Ils font retour
Toujours au limon
Nos mots
Contre temps
Ouvrant
Avois de revirements :
Restent l’émoi
Et le pôle
La case où se tient la lune
Le poète, comme l’Indien, l’oreille tendue collée au sol. Il perçoit ce qui a eu lieu et résonne encore et ce qui vient.
Il vient des couleurs fauves de Carême à s’affoler.
Il entend parler créole dans un gosier créole (ce qui est rare et émouvant).
Il note cette singulière manière que nous avons de nous dévisager.
La géographie est un « montrer ». Elle est figure. Comme toute écriture, elle est d’abord marquage, empreinte faite en marchant.
Qu’y a t-il de plus catastrophique que l’écriture et la terre ?
*
Chez nous, le passage du créole au français et vice versa comme un art subtil qui s’apparente au jeu de jambes au football : il fait alterner une manière de distinction et de convenance sociales avec le pur plaisir du mot et de la parole dans la bouche. Le grand art est dans la conjugaison, et d’y laisser paraître certain chatoiement.
Il y a comme cela des lieux sourds où la tendance naturelle est de forcer la voix. En Caraïbe, du fait d’un relief souvent chaotique (de morne en morne) et d’une géographie éparse (d’île en île) nous nous sommes accoutumés au saut. Nous avons pris l’habitude ici de nous héler.
Ce relief et cette géographie bondissants (de morne en morne, et d’île en île), il en perçoit l’écho en créole dans la forme de la réduplication : di i di sa / mennen pou mennen-y alé / ralé menm i ka ralé-y. Héritage de la langue des Caraïbes.
Le poète voit les îles (« oui, elles étaient nombreuses, les îles, et belles ») comme un texte dans lequel les consonnes ne seraient que des rochers où simplement poser le pied pour bondir dans l’ouvert du ciel et de la mer comme dans ces mots caraïbes :
bonambaé — kabonakati — amalaka.
« Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables … »
*
Eti jou ka kouri ouvè kon an wélélé.
Le jour s’y lève comme une querelle. Tel un démêlé d’amants qui a pris souche dans le songe. Comme ces oiseux pipiris qu’on y voit parfois se heurter en plein vol, dans un grand battement d’ailes. Et ils se départissent si vivement qu’ils nous laissent dans les yeux un scintillement un grand morceau de ciel blanc.
*
La Caraïbe peut être perçue comme un atelier du monde moderne : avec ses déportations, ses exterminations, et puis aussi son côté « désordonnément multiple", son « ubiquité par les voix et par les sons ». Sa diphtongue.
« À vendre …
les voix reconstituées … l’occasion, unique, de
dégager nos sens !
À vendre les corps sans prix …
À vendre les applications de calcul et les sauts d’harmonie inouïs …
À vendre les corps, les voix … »
*
Pleine lune. Les nuages nous font souvenir de nos vagabondages. De nos échappées. Comme l’archipel dans son déploiement, le poème.
Où se teint la Caraïbe ? Quel est son lieu ?
« Ce monde, une rosée,
Je le veux bien :
Pourtant, pourtant … »
« Il faut se hâter
L’Histoire va fermer. »
La case où se tient la lune ouvre le temps de la veille.
Le multiple, la multitude
Summa ratio est Deus
« Et que la multitude derrière eux qu’ils guidaient … »
En pile corps broyé pétri
façonné
suie et fumée à la terre mêlée
collé-collé maché mouri.
Technikos en son aire espanoui,
Temps du Glazing : mode in-oculus
Servitude qui adhère par la bouche et par le cœur
la multitude par toute la terre
(« au bout de l’univers leurs mots »)
l’obéissance par la puissance des signes
loin-loin longtemps pluss passé pièce modèle
forge fonte fondrie
javelotte fendoir et masselotte,
Masque de gypse portent les Titans tueurs du dieu
« leur gosier, un sépulcre »
et leur rosaires
et leur rabadairs
et leur lodères callibistris plein nez à redondance.com
science-sublime-sans-limite,
Beillevezées soufflées gaillées dis-
séminées odeur graisse frite
mirifique bouquet de benêolence
belinement dispersé dans l’Universe
racine et branches djérit-tout’
hauts rameaux
guérissant rage furoncle érysipèle
pour le saulvement des divines ômes :
pêle-mêle scribes et parschi
pêle-mêle garces et ocieux
prélates et pucelles (étiii…)
Paraît-i ya l’air pour ion million nanges
nantis les lettres
Chimères au front blanc
L’un à l’un enchainés de chaines d’or
Fils l’Aleph soustraits du néants
Les Fastes voyagent à travers la terre
Traces blanches vibrantes, coulent
S’écoulent, fouillent,
Colonisent, usurpent
Vent du Nord fait pivoter la meule,
Hélicé
disque sacré, doux chaudron.
Zagreus dégrainé, dépiécé,
Gorgé de viande d’âne
L’homme dans le monde indéfiniment se dédouble.
L’en haut, l’En bas
Ses disciples dirent : nous connaissons l’ordre des sphères du haut
vers le bas, mais celui du bas vers le haut, nous ne le connaissons pas.
Il leur dit : n’est-ce pas la même chose si l’on compte du haut vers
le bas ou du bas vers le haut ?
Ainsi en va t-il
Et les étoiles, légions et messagers sans nombre
dans l’espace du ciel
Et la lettre, en tête,
où sont suspendus les êtres
celui-ci celui-là face à face
Et dès lors se déverse Cela
Et se renverse la mer vers
la mer, présage et engendrement,
rassemble et réconcilie
les eaux dans le creux de la main
Figure et ordonne visage d’homme :
traits modelés selon les signes
gravés dans le frémissement du temps,
scrutés dans les quatre horizons
ainsi,
Présence dans l’En-bas parée belle
oui, elle est belle, scintille : l’air flamboie
à l’image et dans la semblance
L’En-haut, portail et ouverture du monde,
enjôlés de mélodies qui dansent
dansent cadence et rythme qui ascendent Sans-fin
mesure, feu palpitant
Deux visages même,
Lumière/obscurité se ravissant l’un l’autre
Et se charrient
Dans le chant tumultueux
La terre qui recueille le Tout et s’en nourrit ;
qui recueille et obscurcit
Ainsi du lieu d’où émergent la mer et les jours,
jour Un
fraye les chemins dans l’abîme
Pèse les eaux moitié-moitié,
les eaux et les eaux
Dissimule et dévoile dans le secret du
Deux, la Maison du monde
trois rayonnements dessus l’abîme,
entrelace l’un à l’autre aux souffle et feu,
une seule parole, un seul dire
une seule lettre
calée
entre ciel et terre
La pluie tombe
Et le rideau qui interpose
Sagesse, discernement et
Connaissance
cette grande allusion
faisant signe dans les recoins secrets
gayant
voir sans voir, chuchotements sans voix
Raillant séjour, pays natal, os des os,
côté
murmure infime
paroles encloses brillant d’éclat enclos
éclairent ce qu’elles éclairent
à travers l’obscur, depuis le gouffre
la caverne,
depuis l’enceinte de la gorge,
la voix contre les lèvres,
la fine voix qui faillit
remontant des eaux, des tombeaux
Parole qui couve et abrite sous ses ailes
fille de lumière
la joie nichée oubliée dans les plis de la terre féconde
souffle dans le souffle
nœud de vie
rien, articulé
Sur lequel le monde entre et sort
Et ainsi reste
qui prodigue les noms, en clarté
les engendrements, les couleurs, les cantiques
Le candélabre d’or pur le prodige
La parole un/tout qui dévoile corps-là,
le côté du monde ciel et terre,
laisse parler le souffle pour écouter entendre
enchanter
Et Sentinelle au Levant
Même mener esplendir.
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