de La Nuit mathématique

Marianne Van Hirtum

1
 
     Tandis que mon feu bout, que la lune baise ma porte,
le jour s’insinue, sans plus le laisser circonscrire
par la traînée fumeuse des étoiles.
 
     Là-bas !—C’était la boîte verte dans la clairière des mondes.
Son visage parlait sans cesse, avec des soubresauts de douceur inconnue.
 
     « Il est l’heure, dit-elle, ta robe est déjà toute prête. »
Elle désigne un grand pont d’écailles : celui-là même
Où se promenaient des cigognes en béquilles.
     Je lui demande s’il n’est plus de saisons.
« Non, dit-elle, puisque tu es nue dans la vie des hommes. »
Mes ces petits soldats rieurs ne m’importent guère.
     Ce qui seul compte, c’est le corps, dont j’écarte le sang   
pour découvrir un nid d’abeilles rouges,
toutes occupées de boire au fleuve des femmes ivres.

      Celles-là mêmes que nous aimons tant !
Celles qui sont les nacelles de l’air,
semblables à des hiboux décapités,
dont les têtes gravitent.
Celles que l’on nomme les anges,
parce qu’elles sont savantes comme les démons.
 
     Leur cœur est une fleur sauvage
qui a plus de pétales qu’on ne compta de larmes.
 
     C’est dans une larme—quelquefois—
qu’elle se promène, comme en barque blonde.
 
     Sa nourriture est faite des mouches mortes,
que nous négligeâmes, oublieux que nous sommes,
du rôle aigu de la Reine-Géométrie.
 
     Cette fleur est la parole que ma bouche s’apprête à dire.
Ou bien qu’elle taira :
car la serrure de ma bouche est sans clé.
Cette clé est sans sexe, mon cœur bat
de la voir qui vient,
si bleue, dans la grande nuit teinte.
 
 
 
2
 
     Les grandes bêtes sortaient par les portes d’ombre.
Un peu plus tard, elles rentraient, par le portail de lèse-majesté.
 
     Un grand lion noyé flottait sur l’eau sucrée.
 
Quelle silence ombreux, sur les palais de neige !
 
     Du ciel tombait une chaleur noire,
comme les longues mouches blêmes nous accompagnent,
parfois nous prenant la main, vers le soir.
 
     L’oreiller bleu perdait son sang,
que partait en ruisseaux rapides,
quand la pâquerette lunaire épouse une strate de glace.                                                          
 
     Ville traversée d’innombrables bougeoirs.
 
Sur la berge du violet-noir,
s’étend le Dinosaure aimé,
montant jusqu’à sa bouche, son drap de nuit.
 
 
 
3
 
     Les ayant trouvées trop sèches :
nous les avons emmenées sur des brancards,
sur des grabats, sur des brouettes.
Sur tout ce que nous avons trouvé de plus suspect
en l’ardente matière
 
     Nous nous sommes répandus dans les deux sens,
mais toutefois, sans oublier la rose du désert :
elle est toujours vivante aux quais des algues moribondes
où frissonne un dernier pavot,
n’étant que l’armistice de soi-même.
 
     Sombre était l’enfant-chacal des forêts,
assis en ses carrés de vent et d’herbes.
 
     Et sombres singes, assis en la mélancolie :
ils ne nous ont montré que leurs infaillibles gants gris.
 
 
 
4
 
     La fourrure en semis d’argent n’étoile pas
de hasardeux mélanges les cavernes
où l’Être en chapeau de nuit
ouvre sa porte mal ventée de troncs noirs.
     Un rire bien dément, un feu bleu cerclé de rayons de guêpe
serait là ton œil, ô réciprocité qui toujours t’ajourne
au seuil des grottes refusées ?
 
     Le jour, grand-lustucru-cyclamen-de-glace porte tes pas,
sur son dos, l’hôpital masqué pour la fête.
 
     Si tu développes en ton front
une intelligence de perdrix lucide,
toujours perdront tes yeux cachés leur chevelure d’amiante.
Source plus aveugle qu’un sourd de résine.
 
     Chassez ces trains de misère
sur les rails flambants du baiser.
La grotte est faite en toile diaprée,
pour qui ne peut la prendre avec des doigts de Père-l’Égypte.   

     Une botte de foins risibles se dresse,
où ne dormiront pas nos jeunes lions.
Ici, personne ne porte la tête à l’envers.
 
     Trop lentement tourne l’horloge.
Mourons de plus en plus !
 
     J’ai déjà son goût merveilleux
à mes dents lointaines.
 
 
 
L’HYMNE AU GRAND PARAPLUIE
 
     J’aurai la mort que j’ai voulue,
avec ses dentelles de fer jaune, ses crics de paille.
     Elle m’attendra dans la vallée de tulle,
lorsque la seule tendresse du jour
aura fait son apparition de serpent doré,
qui luit quelques instants au son de la cloche de cinq heures.
 
     Alors l’oiseau magique, surmonté d’une houppelande de révolte 
fera son sonnet de perles avec des mots de crécelle
mouillée sous le vent.
     Le soleil ne brillera point pour attester
ma minceur de son ombre.
 
     Allez, mes bons chevaux !
Hissez-moi sur vos épaules de granit.
Enchaînez mes poignets déjà refroidis :
la forêt s’ouvre comme une botte de haricots rouges
au crépuscule, et le ruisseau de fort vin bleu m’attend.
 
 
     Le silence ouvre ses portes, pour un fois elles sont liquides,
comme entourées des gueules de la nuit.
 
     Le tout dernier sanglier blanc
à qui je ferai peur, tourne le dos.
 
     Que les chercheurs, ici s’éloignent.
Ce n’est pas un corps de jeune garçon que je laisserai,
la tête dans le ruisseau, les pieds de nacre vermeil,
 
     en forme de Grand Parapluie.