du Devoir

Paul Éluard

Ils se perdent dans le silence,
Ivres prodigieusement.
L’équilibre de leur balance
Serait tonnerre en se rompant.
 
S’il y avait un intérêt
Dans la rumeur du ciel en flammes
L’aviateur illuminerait
Et nous laisserait.
 


*

La troupe qui rit toute vive dans l’ombre
Pour un soir peut boire sans envie . . .
A la bougie que les quarts sont jolis
Et les chansons qui finissent aussi.
 
Tout le jour des cris sans nombre
Pour une fête très douce à souhaiter
Ont bondi de tous les côtés,
Car ce fut fête de préférés . . .
 
En accrochant aux murs les couleurs qui le flattent
Demain chacun saura que la joie adorable
Est partie pour toujours. Et tous les gestes nus
Seront accompagnés de mots de bienvenue
Pareils à la pitié qui suit un misérable.



*

La mer qui a tous les bateaux
N’est pas plus grande que l’endroit
Où dansaient, au son d’un roseau,
Les hommes d’un pays moins froid
Que celui-ci, pays de boue et d’eau.
 
La place nous semblait si grande,
Nous avions tant besoin d’être serrés
Que sans certains—qu’on les défende!—
Les danseurs étaient écrasés
Et nous prenions chaud autour d’eux,
Tout auprès d’eux! 
 


*

Soldats casqués, fleuris, chantant et détruisant.
Toujours, très lentement,
Mi-roues renouvelées dans les blés
Des camions, des canons, des caissons.
 
Calme attente.
 
Le soir, le soleil qui se couche
Comme un fardeau glisse d’une épaule.



*

Travaille-tout,
Creuse des trous
Pour des squelettes de rien du tout.
 
 


*

Point de tombes en les forêts.
L’ombre attendait ces échappées
Que nous faisons vers la clarté
Tous ensemble, en brisant les branches.
 
Les troncs qu’au repos l’on tatoue
Ne connaîtront pas nos couteaux.
« Si tu veux, ralentis un peu,
Et c’est tout. »
 
Quelqu’un sait-il où nous allons?
Allons-nous délivrer la joie
Qui est en nous, que nous cachons
Comme un arbre cache ses racines?
 
Ou bien suivrons-nous toujours cette voie?