Le 27 octobre 2003
Etel Adnan
je dis que je n’ai pas peur
de mourir parce que je n’ai
pas encore fait l’expérience
de la mort
sur les murs d’une chambre
surchauffée des images su
papier se fanent comme mes
os dans un lit
les femmes aiment la nuit
qui cache leur
manque d’amour
elles veulent des nuages
qui ne font aucune ombre
sur la pauvreté du souvenir . . . et
leur étonnement se déplace
le jardin d’automne ne suffit pas
à notre impatience. je suis exilée de
mon territoire intérieur depuis
qu’un amour perdu m’a quittée
le bois durci d’un prunier menace
une galaxie inconnue de tous, et la
parole emprunte le trajet réversible
de la lumière pour porter secours
les tribus rassemblent leur acrimonie
le jour du marché ; le soleil fend l’unique
fontaine
Omar Khayyam m’a demandé de
partager son vin. j’ai dit oui. j’ai
partagé sa mélancolie et demain
j’irai le voir dans la terre qu’il est
devenu
avec chaque être assassiné dans
nos pays de soufre et de cuivre
se lève une nouvelle volonté
voyage, ô voyage !
l’ultime feu qui ravage l’air
dévoile des terrains sur lesquels
nous allons marcher sans but
et sans fatigue
l’hypocrisie des forts nous protégé
de l’espoir. je préfère les feuilles
jaunies par la pluie aux fausses victories
alors j’écoute le vent. Il fait bon
vivre là où l’on meurt, où les legends
sont éteintes . . . nos tombes seront aussi
légères que les ailes des anges
il n’y a pas lieu de craindre ceux
qui insultent notre insoumission,
les vaincus auront toujours le
dernier mot
j’habite un invisible qui n’a ni
salle de bain ni entrée.
l’invisible n’a pas de propriétaire.
le rêve n’a jamais de murs,
et il n’y fait jamais froid
et mes ombres s’allongent
sur mon corps quand il dort,
et le ciel cesse d’être bleu, et
la lumière attend
nous n’avons pas de grandes actrices
dans nos petites épiceries et nos
hommes exportés par la faim se pressent
dans l’acier de l’hiver
je ne suis pas un fantôme longeant
le fleuve étranger, ni léopard ou
chouette. je suis un courant d’air
si on écrit, c’est qu’on ne peut pas
chanter, si on dort, c’est qu’on ne
peut pas vivre
la plupart du temps, la mémoire
ne sert à rien : les hôtels où j’ai attendu
ont disparu
il a été défendu aux femmes de
solliciter l’amour. ainsi, elles ont
cessé d’aller à la recherche du
paradis
allez, allez ! le jasmin à l’oreille
vient d’un crépuscule déchu.
nous aimerions ne plus parler de
choses humaines, mais les pierres
ne sont pas meilleures
quand elle disait qu’elle était eau
et lumière, ils se mettaient à manger
dans le noir quelque chose d’amer
et de dur . . . c’est dire qu’il n’ont pas
entendu l’orage
du bateau qui m’a emmenée, j’ai
retenu la nausée, et l’odeur de mazout
de la ville où j’ai débarqué, je me
souviens d’une défaite et d’un
restaurant coûteux
moi aussi j’ai traverse des plaines
qui s’étalent à l’infini, alors que le
bonheur ne se rencontre que dans des
chambres
les mots, pour agir, s’habillent de
pourpre phénicien, et c’est dans les
espaces qui les séparent que les
grandes aventures ont lieu
je plonge mes mains dans le soleil
alors que les corps endormis
préfèrent les éclats de lune
restons en Méditerranée, pas loin
des champs plantés d’orangers
en fleurs
ceux qui ne peuvent partir
découvriront la géographie
du corps. il y a aussi des aérodromes
et des ports à la surface de nos âmes
ne quittez pas la Méditerranée
sans lui dire que vous l’avez aimée :
ses filles et ses garçons sont montés vers
le Nord, un jour de pluie, ou un jour
de guerre
moi j’appartiens aux cailloux qu’on
jette par manque d’hélicoptères,
aux femmes enfermées,
aux prisonniers politiques ;
parfois je regrette mon amour de
la splendeur
mais notre mère étoile solaire,
et le père lunaire, à leur façon,
nous ont confié les objets
inutiles d’un siècle oublié
dans l’eau de certains fleuves il
y a un bonheur sauvage
dans la vallée de Yosemite,
avec la couleur du Pacifique traînant
encore dans les yeux, j’ai enterré
l’essentiel et l’inessentiel. ce
bonheur-là survivra à ma mort
mon ami Khaled m’envoie des palmiers
cartes-postales parce qu’il sait que
l’Europe est couverte de pétrole
brûlé
je passe à travers les arbres de cette
saison comme j’ai passé à travers des
hommes et des femmes . . . Je crois qu’il
est possible de n’avoir aimé que des
ombres
je reviens à la Grèce, amie préférée de
l’Arabie céleste, parce qu’elles ont en
commun des chevaux, et des adolescents
en folie
je ferme les volets et je me demande
vers où s’est déplacée la lumière qui épousait
la mer sous nos yeux
j’aurais voulu aller au café du coin,
regarder le froid défiler tandis que je
suis au chaud, ou même faire l’amour . . .
mais il pleut des bombes sur Bagdad
ce soir, mes amis, je vais me coucher
tôt car l’obscurité s’est trop épaissie. je vais
essayer de ne pas, comme d’habitude dans
le rêve, me laisser emporter par des
inondations, ni ne pas retrouver ma clé.
je vais tenter de dormir comme le font, je
crois, les enfants
il y a une période, en automne, où les
arbres changent de nature, et se
réveillent dans un au-delà de la
matière ; puis on les voit revenir à
leur être ordinaire
c’est bien de se tenir dans le discontinu, là
où vivent les oiseaux, et savoir que
les nations se nourrissent de rapine : armés de
cette désillusion, nous parvenons à
supporter l’insoutenable
elle conduisait sa voiture dans les meanders
des interdits et les soleils qui s’y cachaient
lui donnaient une beauté elle-même
proscrite
je reviens à la Grèce avec l’acharnement
d’un condamné à mort, sachant qu’elle n’est
plus un territoire. je devrais la construire à
nouveau, mais au lieu d’acquérir des outils
je me disperse dans la douleur
ne quittez pas la Méditerranée ;
ailleurs, en toutes saisons, il n’y a
que des pièges, et les regrets que
vous allez dissimuler vous
étrangleront
ne quittez pas votre enfance, et ses
chagrins. le premier désir vous
accompagnera jusqu’au dernier
soufflé. les routes mènent a des
illuminations, mais jamais à la paix
du coeur
regardez à la television vos frères
mourir, et ne bougez pas. ils sont
dans un monde nouveau bien que
sans issue
Paris, le 27 octobre 2003
First published by Khaled Najar, Editions Tawbad, 2008
de mourir parce que je n’ai
pas encore fait l’expérience
de la mort
sur les murs d’une chambre
surchauffée des images su
papier se fanent comme mes
os dans un lit
les femmes aiment la nuit
qui cache leur
manque d’amour
elles veulent des nuages
qui ne font aucune ombre
sur la pauvreté du souvenir . . . et
leur étonnement se déplace
le jardin d’automne ne suffit pas
à notre impatience. je suis exilée de
mon territoire intérieur depuis
qu’un amour perdu m’a quittée
le bois durci d’un prunier menace
une galaxie inconnue de tous, et la
parole emprunte le trajet réversible
de la lumière pour porter secours
les tribus rassemblent leur acrimonie
le jour du marché ; le soleil fend l’unique
fontaine
Omar Khayyam m’a demandé de
partager son vin. j’ai dit oui. j’ai
partagé sa mélancolie et demain
j’irai le voir dans la terre qu’il est
devenu
avec chaque être assassiné dans
nos pays de soufre et de cuivre
se lève une nouvelle volonté
voyage, ô voyage !
l’ultime feu qui ravage l’air
dévoile des terrains sur lesquels
nous allons marcher sans but
et sans fatigue
l’hypocrisie des forts nous protégé
de l’espoir. je préfère les feuilles
jaunies par la pluie aux fausses victories
alors j’écoute le vent. Il fait bon
vivre là où l’on meurt, où les legends
sont éteintes . . . nos tombes seront aussi
légères que les ailes des anges
il n’y a pas lieu de craindre ceux
qui insultent notre insoumission,
les vaincus auront toujours le
dernier mot
j’habite un invisible qui n’a ni
salle de bain ni entrée.
l’invisible n’a pas de propriétaire.
le rêve n’a jamais de murs,
et il n’y fait jamais froid
et mes ombres s’allongent
sur mon corps quand il dort,
et le ciel cesse d’être bleu, et
la lumière attend
nous n’avons pas de grandes actrices
dans nos petites épiceries et nos
hommes exportés par la faim se pressent
dans l’acier de l’hiver
je ne suis pas un fantôme longeant
le fleuve étranger, ni léopard ou
chouette. je suis un courant d’air
si on écrit, c’est qu’on ne peut pas
chanter, si on dort, c’est qu’on ne
peut pas vivre
la plupart du temps, la mémoire
ne sert à rien : les hôtels où j’ai attendu
ont disparu
il a été défendu aux femmes de
solliciter l’amour. ainsi, elles ont
cessé d’aller à la recherche du
paradis
allez, allez ! le jasmin à l’oreille
vient d’un crépuscule déchu.
nous aimerions ne plus parler de
choses humaines, mais les pierres
ne sont pas meilleures
quand elle disait qu’elle était eau
et lumière, ils se mettaient à manger
dans le noir quelque chose d’amer
et de dur . . . c’est dire qu’il n’ont pas
entendu l’orage
du bateau qui m’a emmenée, j’ai
retenu la nausée, et l’odeur de mazout
de la ville où j’ai débarqué, je me
souviens d’une défaite et d’un
restaurant coûteux
moi aussi j’ai traverse des plaines
qui s’étalent à l’infini, alors que le
bonheur ne se rencontre que dans des
chambres
les mots, pour agir, s’habillent de
pourpre phénicien, et c’est dans les
espaces qui les séparent que les
grandes aventures ont lieu
je plonge mes mains dans le soleil
alors que les corps endormis
préfèrent les éclats de lune
restons en Méditerranée, pas loin
des champs plantés d’orangers
en fleurs
ceux qui ne peuvent partir
découvriront la géographie
du corps. il y a aussi des aérodromes
et des ports à la surface de nos âmes
ne quittez pas la Méditerranée
sans lui dire que vous l’avez aimée :
ses filles et ses garçons sont montés vers
le Nord, un jour de pluie, ou un jour
de guerre
moi j’appartiens aux cailloux qu’on
jette par manque d’hélicoptères,
aux femmes enfermées,
aux prisonniers politiques ;
parfois je regrette mon amour de
la splendeur
mais notre mère étoile solaire,
et le père lunaire, à leur façon,
nous ont confié les objets
inutiles d’un siècle oublié
dans l’eau de certains fleuves il
y a un bonheur sauvage
dans la vallée de Yosemite,
avec la couleur du Pacifique traînant
encore dans les yeux, j’ai enterré
l’essentiel et l’inessentiel. ce
bonheur-là survivra à ma mort
mon ami Khaled m’envoie des palmiers
cartes-postales parce qu’il sait que
l’Europe est couverte de pétrole
brûlé
je passe à travers les arbres de cette
saison comme j’ai passé à travers des
hommes et des femmes . . . Je crois qu’il
est possible de n’avoir aimé que des
ombres
je reviens à la Grèce, amie préférée de
l’Arabie céleste, parce qu’elles ont en
commun des chevaux, et des adolescents
en folie
je ferme les volets et je me demande
vers où s’est déplacée la lumière qui épousait
la mer sous nos yeux
j’aurais voulu aller au café du coin,
regarder le froid défiler tandis que je
suis au chaud, ou même faire l’amour . . .
mais il pleut des bombes sur Bagdad
ce soir, mes amis, je vais me coucher
tôt car l’obscurité s’est trop épaissie. je vais
essayer de ne pas, comme d’habitude dans
le rêve, me laisser emporter par des
inondations, ni ne pas retrouver ma clé.
je vais tenter de dormir comme le font, je
crois, les enfants
il y a une période, en automne, où les
arbres changent de nature, et se
réveillent dans un au-delà de la
matière ; puis on les voit revenir à
leur être ordinaire
c’est bien de se tenir dans le discontinu, là
où vivent les oiseaux, et savoir que
les nations se nourrissent de rapine : armés de
cette désillusion, nous parvenons à
supporter l’insoutenable
elle conduisait sa voiture dans les meanders
des interdits et les soleils qui s’y cachaient
lui donnaient une beauté elle-même
proscrite
je reviens à la Grèce avec l’acharnement
d’un condamné à mort, sachant qu’elle n’est
plus un territoire. je devrais la construire à
nouveau, mais au lieu d’acquérir des outils
je me disperse dans la douleur
ne quittez pas la Méditerranée ;
ailleurs, en toutes saisons, il n’y a
que des pièges, et les regrets que
vous allez dissimuler vous
étrangleront
ne quittez pas votre enfance, et ses
chagrins. le premier désir vous
accompagnera jusqu’au dernier
soufflé. les routes mènent a des
illuminations, mais jamais à la paix
du coeur
regardez à la television vos frères
mourir, et ne bougez pas. ils sont
dans un monde nouveau bien que
sans issue
Paris, le 27 octobre 2003
First published by Khaled Najar, Editions Tawbad, 2008