de Soleil Cou Coupé
Aimé Césaire
À L'Heure où Dans la Chaleur les Moines Nus Descendent de L'Himalaya
Très fort pendant les moustiques montés des volutes chargées à mitraille des maremmes joli
cœur de la brutalité à la patte moricaude des bouges de sangliers
Très fort pendant les grands fleuves qui à la vermine débranchent leurs cuisses très immondes
lèvres bleues giclant un rire cru de vagin
Très fort pendant la face molle des pollens s'écrasant dans la conspiration du vent et les
cheminées qui fument sous le tunnel des épaules des fauves en escarboucles d'yeux plus tendres
que leur alentour de graminées
Très fort monstre contre monstre
le tien dont le corps est une statue de suc de bois rouge
dont le crachat est un pissat de fofa
le mien dont la sueur est un jet de bile de caïman
que je les sorte enfin comme une nuit pluvieuse de cris d'alouates de ma poitrine si tendre de
fausse oronge
Aux Écluses Du Vide
Au premier plan et fuite longitudinale un ruisseau desséché sommeilleux rouleur de galets d'obsidiennes. Au fond une point quiète architecture de burgs démantelés de montagnes érodées sur le fantôme deviné desquels naissent serpents chariots œil de chat des constellations alarmantes. C'est un étrange gâteau de lucioles lancé contre la face grise du temps, un grand ébouli de tessons d'icones et de blasons de poux dans la barbe de Saturne. A droite très curieusement debout à la paroi squameuse de papillons crucifiés ailes ouvertes dans la gloire une gigantesque bouteille dont le goulot d'or très long boit dans les nuages une goutte de sang. Pour ma part je n'ai plus soif. Il m'est doux de penser le monde défait comme un vieux matelas à coprah comme un vieux collier vaudou comme le parfum du pécari abattu. Je n'ai plus soif. Toutes les têtes m'appartiennent. Il est doux d'être doux comme un agneau. Il est doux d'ouvrir les grandes vannes de la douceur :
par le ciel ébranlé
par les étoiles éclatées
par le silence tutélaire
de très loin d'outre moi je viens vers toi
femme surgie d'un bel aubier
et tes yeux blessures mal fermées
sur ta pudeur d'être née
C'est moi qui chante d'une voix prise encore dans le balbutiement des éléments. Il est doux d'être un morceau de bois un bouchon une goutte d'eau dans les eaux torrentielles de la fin et du recommencement. Il est doux de s'assoupir au cœur brisé des choses. Je n'ai plus aucune espèce de soif. Mon épée faite d'un sourire de dents de requin devient terriblement inutile. Ma masse d'armes est très visiblement hors de saison et hors de jeu. La pluie tombe. C'est un croisement de gravats, c'est un écheveau de fer pour ciment armé, c'est un incroyable arrimage de l'invisible par des liens de toute qualité, c'est une ramure de syphilis, c'est le diagramme d'une saoulerie à l'eau-de-vie, c'est la représentation graphique d'une marée séismique, c'est un complot de cuscutes, c'est la tête du cauchemar fichée sur la pointe de lance d'une foule en délire de paix et de pain.
J'avance jusqu'à la région des lacs bleus. J'avance jusqu'à la région des solfatares
j'avance jusqu'à ma bouche cratériforme vers laquelle ai-je assez peiné? Qu'ai-je à jeter ? Tout ma foi tout. Je suis tout nu. J'ai tout jeté. Ma généalogie. Ma veuve. Mes compagnons. J'attends le bouillonnement, j'attends le baptême du sperme. J'attends le coup d'aile du grand albatros séminal qui doit faire de moi un homme nouveau. J'attends l'immense tape, le soufflet vertigineux qui me sacrera chevalier d'un ordre plutonien. J'attends au plus profond de mes pores la sacrée intrusion de la bénédiction.
Et subitement c'est le débouché des grands fleuves
c'est l'amitié des yeux de toucans
c'est l'érection au fulminate de montagnes vierges
je suis enceint avec mon désespoir dans mes bras
je suis enceint avec ma faim dans mes bras et mon dégoût dans la bouche.
je suis investi. L'Europe patrouille dans mes veines comme une meute de filaires sur le coup de
minuit. Dire que leurs philosophies ont essayé de leur donner une morale. Cette race féroce ne
l'aura pas supportée.
Europe éclat de fonte
Europe tunnel bas d'où suinte une rosée de sang
Europe carne Europe
Europe vieux chien Europe calèche à vers
Europe tatouage pelé Europe ton nom est un gloussement rauque et un choc assourdi
je déplie mon mouchoir c'est un drapeau
j'ai mis ma belle peau
j'ai ajusté mes belles pattes onglées
Europe
je donne mon adhésion à tout ce qui poudroie le ciel de son insolent à tout ce qui est loyal et fraternel à tout ce qui a le courage d'être éternellement neuf à tout ce qui sait donner son cœur au feu à tout ce qui a la force de sortir d'une sève inépuisable à tout ce qui est calme et sûr
à tout ce qui n'est pas toi
Europe
Nom considérable de l'étron
À L'Afrique
à Wifredo Lam
Paysan frappe le sol de ta daba
dans le sol il y a une hâte que la syllabe de l'événement ne dénoue pas
je me souviens de la fameuse peste qui aura lieu en l'an 3000
il n'y avait pas eu d'étoile annoncière
mais seulement la terre en un flot sans galet pétrissant d'espace un pain d'herbe et de réclusion
frappe paysan frappe
le premier jour les oiseaux mourront
le second jour les poissons échouèrent
le troisième jour les animaux sortirent des bois
et faisaient aux villes une grande ceinture chaude très forte
frappe le sol de ta daba
il y a dans le sol la carte des transmutations et des ruses de la mort
le quatrième jour la végétation se fana
et tout tourna à l'aigre de l'agave à l'acacia
en aigrettes en orgues végétales
ou le vent épineux jouait des flûtes et des odeurs tranchantes
Frappe paysan frappe
il naît au ciel des fenêtres qui sont mes yeux giclés
et dont la herse dans ma poitrine fait le rempart d'une ville qui refuse de donner la passe aux muletiers de la désespérance
Frappe le sol de ta daba
il y a les eaux élémentaires qui chantent dans les virages du circuit magnétique l'éclosion des petits souliers de la terre
attente passementerie de lamproies j'attends d'une attente vulnéraire une campagne qui naîtra aux oreilles de ma compagne et verdira à son sexe
le ventre de ma compagne c'est le coup de tonnerre du beau temps
les cuisses de ma compagne jouent les arbres tombés le long de sa démarche
il y a au pied de nos châteaux-de-fées pour la rencontre du sang et du paysage la salle de bal où des nains braquant leurs miroirs écoutent dans les plis de la pierre ou du sel croître le sexe du regard
paysan pour que débouche de la tête de la montagne celle que blesse le vent
pour que tiédisse dans sa gorge une gorgée de cloches
qui se parfilent en corbeaux en jupes en perceuses d'isthmes
pour que ma vague se dévore en sa vague et nous ramène sur le sable en noyés en chair de goyaves déchirés en une main d'épure en belles algues en graine volante en bulle en souvenance en arbre précatoire
soit ton geste une vague qui hurle et se reprend vers le creux de rocs aimés comme pour parfaire une île rebelle à naître
il y a dans le sol demain en scrupule et la parole à charger aussi bien que le silence
et j'emmerde ceux qui ne comprennent pas qu'il n'est pas beau de louer l'éternel et de célébrer ton nom ô Très-Haut
car tu n'as ni la force luisante du buffle ni la science mathématique de l'ibis ni la patience du nègre
et la bouse de vache que tu roules avec moins d'adresse que le scarabée le cède en luxe aux mots noués sous ma langue
Éternel je ne pense pas à toi ni à tes chauves-souris
mais je pense à Ishtar mal défendue par la meute friable de ses robes que chaque parole zéro des luettes plus bas vers où feignent de dormir les métaux avec leur face encline
et les serpents qui balancent au fond de nos exils des cheveux de sycomore enchiffre d'ombre et de connaissance
Paysan le vent où glissent des carènes arrête autour de mon visage la main lointaine d'un songe
ton champ dans son saccage éclate debout de monstres marins
que je n'ai garde d'écarter
et mon geste est pur autant qu'un front d'oubli
frappe paysan je suis ton fils
à l'heure du soleil qui se couche le crépuscule sous ma paupière clapote vert jaune et tiède d'iguanes inassoupis
mais la belle autruche courrière qui subitement naît des formes émues de la femme me fait de l'avenir les signes de l'amitié
Très fort pendant les moustiques montés des volutes chargées à mitraille des maremmes joli
cœur de la brutalité à la patte moricaude des bouges de sangliers
Très fort pendant les grands fleuves qui à la vermine débranchent leurs cuisses très immondes
lèvres bleues giclant un rire cru de vagin
Très fort pendant la face molle des pollens s'écrasant dans la conspiration du vent et les
cheminées qui fument sous le tunnel des épaules des fauves en escarboucles d'yeux plus tendres
que leur alentour de graminées
Très fort monstre contre monstre
le tien dont le corps est une statue de suc de bois rouge
dont le crachat est un pissat de fofa
le mien dont la sueur est un jet de bile de caïman
que je les sorte enfin comme une nuit pluvieuse de cris d'alouates de ma poitrine si tendre de
fausse oronge
Aux Écluses Du Vide
Au premier plan et fuite longitudinale un ruisseau desséché sommeilleux rouleur de galets d'obsidiennes. Au fond une point quiète architecture de burgs démantelés de montagnes érodées sur le fantôme deviné desquels naissent serpents chariots œil de chat des constellations alarmantes. C'est un étrange gâteau de lucioles lancé contre la face grise du temps, un grand ébouli de tessons d'icones et de blasons de poux dans la barbe de Saturne. A droite très curieusement debout à la paroi squameuse de papillons crucifiés ailes ouvertes dans la gloire une gigantesque bouteille dont le goulot d'or très long boit dans les nuages une goutte de sang. Pour ma part je n'ai plus soif. Il m'est doux de penser le monde défait comme un vieux matelas à coprah comme un vieux collier vaudou comme le parfum du pécari abattu. Je n'ai plus soif. Toutes les têtes m'appartiennent. Il est doux d'être doux comme un agneau. Il est doux d'ouvrir les grandes vannes de la douceur :
par le ciel ébranlé
par les étoiles éclatées
par le silence tutélaire
de très loin d'outre moi je viens vers toi
femme surgie d'un bel aubier
et tes yeux blessures mal fermées
sur ta pudeur d'être née
C'est moi qui chante d'une voix prise encore dans le balbutiement des éléments. Il est doux d'être un morceau de bois un bouchon une goutte d'eau dans les eaux torrentielles de la fin et du recommencement. Il est doux de s'assoupir au cœur brisé des choses. Je n'ai plus aucune espèce de soif. Mon épée faite d'un sourire de dents de requin devient terriblement inutile. Ma masse d'armes est très visiblement hors de saison et hors de jeu. La pluie tombe. C'est un croisement de gravats, c'est un écheveau de fer pour ciment armé, c'est un incroyable arrimage de l'invisible par des liens de toute qualité, c'est une ramure de syphilis, c'est le diagramme d'une saoulerie à l'eau-de-vie, c'est la représentation graphique d'une marée séismique, c'est un complot de cuscutes, c'est la tête du cauchemar fichée sur la pointe de lance d'une foule en délire de paix et de pain.
J'avance jusqu'à la région des lacs bleus. J'avance jusqu'à la région des solfatares
j'avance jusqu'à ma bouche cratériforme vers laquelle ai-je assez peiné? Qu'ai-je à jeter ? Tout ma foi tout. Je suis tout nu. J'ai tout jeté. Ma généalogie. Ma veuve. Mes compagnons. J'attends le bouillonnement, j'attends le baptême du sperme. J'attends le coup d'aile du grand albatros séminal qui doit faire de moi un homme nouveau. J'attends l'immense tape, le soufflet vertigineux qui me sacrera chevalier d'un ordre plutonien. J'attends au plus profond de mes pores la sacrée intrusion de la bénédiction.
Et subitement c'est le débouché des grands fleuves
c'est l'amitié des yeux de toucans
c'est l'érection au fulminate de montagnes vierges
je suis enceint avec mon désespoir dans mes bras
je suis enceint avec ma faim dans mes bras et mon dégoût dans la bouche.
je suis investi. L'Europe patrouille dans mes veines comme une meute de filaires sur le coup de
minuit. Dire que leurs philosophies ont essayé de leur donner une morale. Cette race féroce ne
l'aura pas supportée.
Europe éclat de fonte
Europe tunnel bas d'où suinte une rosée de sang
Europe carne Europe
Europe vieux chien Europe calèche à vers
Europe tatouage pelé Europe ton nom est un gloussement rauque et un choc assourdi
je déplie mon mouchoir c'est un drapeau
j'ai mis ma belle peau
j'ai ajusté mes belles pattes onglées
Europe
je donne mon adhésion à tout ce qui poudroie le ciel de son insolent à tout ce qui est loyal et fraternel à tout ce qui a le courage d'être éternellement neuf à tout ce qui sait donner son cœur au feu à tout ce qui a la force de sortir d'une sève inépuisable à tout ce qui est calme et sûr
à tout ce qui n'est pas toi
Europe
Nom considérable de l'étron
À L'Afrique
à Wifredo Lam
Paysan frappe le sol de ta daba
dans le sol il y a une hâte que la syllabe de l'événement ne dénoue pas
je me souviens de la fameuse peste qui aura lieu en l'an 3000
il n'y avait pas eu d'étoile annoncière
mais seulement la terre en un flot sans galet pétrissant d'espace un pain d'herbe et de réclusion
frappe paysan frappe
le premier jour les oiseaux mourront
le second jour les poissons échouèrent
le troisième jour les animaux sortirent des bois
et faisaient aux villes une grande ceinture chaude très forte
frappe le sol de ta daba
il y a dans le sol la carte des transmutations et des ruses de la mort
le quatrième jour la végétation se fana
et tout tourna à l'aigre de l'agave à l'acacia
en aigrettes en orgues végétales
ou le vent épineux jouait des flûtes et des odeurs tranchantes
Frappe paysan frappe
il naît au ciel des fenêtres qui sont mes yeux giclés
et dont la herse dans ma poitrine fait le rempart d'une ville qui refuse de donner la passe aux muletiers de la désespérance
Frappe le sol de ta daba
il y a les eaux élémentaires qui chantent dans les virages du circuit magnétique l'éclosion des petits souliers de la terre
attente passementerie de lamproies j'attends d'une attente vulnéraire une campagne qui naîtra aux oreilles de ma compagne et verdira à son sexe
le ventre de ma compagne c'est le coup de tonnerre du beau temps
les cuisses de ma compagne jouent les arbres tombés le long de sa démarche
il y a au pied de nos châteaux-de-fées pour la rencontre du sang et du paysage la salle de bal où des nains braquant leurs miroirs écoutent dans les plis de la pierre ou du sel croître le sexe du regard
paysan pour que débouche de la tête de la montagne celle que blesse le vent
pour que tiédisse dans sa gorge une gorgée de cloches
qui se parfilent en corbeaux en jupes en perceuses d'isthmes
pour que ma vague se dévore en sa vague et nous ramène sur le sable en noyés en chair de goyaves déchirés en une main d'épure en belles algues en graine volante en bulle en souvenance en arbre précatoire
soit ton geste une vague qui hurle et se reprend vers le creux de rocs aimés comme pour parfaire une île rebelle à naître
il y a dans le sol demain en scrupule et la parole à charger aussi bien que le silence
et j'emmerde ceux qui ne comprennent pas qu'il n'est pas beau de louer l'éternel et de célébrer ton nom ô Très-Haut
car tu n'as ni la force luisante du buffle ni la science mathématique de l'ibis ni la patience du nègre
et la bouse de vache que tu roules avec moins d'adresse que le scarabée le cède en luxe aux mots noués sous ma langue
Éternel je ne pense pas à toi ni à tes chauves-souris
mais je pense à Ishtar mal défendue par la meute friable de ses robes que chaque parole zéro des luettes plus bas vers où feignent de dormir les métaux avec leur face encline
et les serpents qui balancent au fond de nos exils des cheveux de sycomore enchiffre d'ombre et de connaissance
Paysan le vent où glissent des carènes arrête autour de mon visage la main lointaine d'un songe
ton champ dans son saccage éclate debout de monstres marins
que je n'ai garde d'écarter
et mon geste est pur autant qu'un front d'oubli
frappe paysan je suis ton fils
à l'heure du soleil qui se couche le crépuscule sous ma paupière clapote vert jaune et tiède d'iguanes inassoupis
mais la belle autruche courrière qui subitement naît des formes émues de la femme me fait de l'avenir les signes de l'amitié