Notice Sur La Conformation Physique Des Égyptiens Et Des Differentes Races Qui Habitent en Égypte

Baron Dominique-Jean Larrey

Artwork by Naomi Segal

Editor’s Note

Pour distinguer le caractère physique des vrais Égyptiens de celui des autres habitans de l’Égypte, il m’a paru indispensable d’examiner ces divers habitans dans leurs rapports essentiels. Afin de procéder dans cet examen avec quelque méthode, je les distinguerai, comme l’a fait un voyageur Français, en quatre classes ; savoir, les Mamlouks, les Turcs ou Turcomans, les Arabes et les Qobtes.

Les Mamlouks qui gouvernent maintenant l’Égypte, s’y établirent vers le Xe siècle : ils descendirent du mont Caucase, et arrivèrent en cette contrée après avoir fait des incursions en Syrie. Ces hommes, que nos croisées désignèrent sous le nom qu’ils portent encore aujourd’hui, se font distinguer des autres habitans de l’Égypte par leurs qualités physiques et par leur caractère belliqueux. Ils sont tous d’une taille avantageuse, d’une constitution robuste ; leurs formes sont belles, agréables ; ils ont le visage ovale, le crâne volumineux, le front découvert, les yeux grands et bien fendus, le nez droit et un peu aquilin, la bouche moyenne, le menton légèrement saillant, les cheveux, les sourcils et les cils bruns ou châtains et la peau d’un blanc mat. Les femmes venues du même pays, et qui ornent les sérails, présentent les mêmes traits avec quelques modifications avantageuses : on en remarque quelques-unes de fort belles.

Les vieillards, parmi ces Orientaux, ont des têtes magnifiques, par la saillie, la beauté des traits de la face et la blancheur éclatante de la barbe qu’ils laissent croître jusqu’au bas de la poitrine. Mourâd-bey étoit un modèle parfait de ces belles formes physiques. Le caractère des Mamlouks est fier, hardi, sans être cruel ; ils sont hospitaliers et généreux. Ils ne se marient que lorsqu’ils ont atteint un grade supérieur ; ils sont enfin exclusivement exercés à l’art militaire, et je pense qu’on a eu raison de les considérer aussi comme les premiers cavaliers du monde.

La seconde race se compose des Turcs ou Turcomans, qui viennent de la Turquie ou de la Tartarie Asiatique. Leur constitution approche assez de celle des Géorgiens ou Circassiens Mamlouks dont je viens de parler : mais leur teint est basané, leur figure plus aplatie, leur crâne plus bombé et plus sphérique ; ils ont les yeux plus petits, le regard sombre et mauvais, les sourcils noirs et froncés, la barbe également noire. Leur caractère est moins vif et a quelque chose de cruel. Cette espèce d’hommes est assez nombreux au Kaire, et ils sont sous les ordres immédiats des pâchâs.

La troisième classe est formée des Arabes, qu’on peut subdiviser en trois races différentes : celle des Arabes orientaux, venus des bords de la mer Rouge ou de l’Arabie ; celle des Arabes occidentaux ou Africains, originaires de la Mauritanie ou des côtes d’Afrique ; et celle des Arabes Bédouins ou Scénites, venus des déserts.

Les individus de la première race, qui se sont perpétués dans la classe des fellah, artisans ou laboureurs de toute la basse Égypte, ont la taille un peu au-dessus de la moyenne : ils sont robustes et assez bien faits ; leur peau est dure, hâlée et presque noire ; ils ont le visage cuivré et ovale, el front large et bombe, le sourcil détaché et noir, l’œil de la même couleur, petit, brillant et enfoncé, le nez droit, de moyenne grandeur, la bouche bien taillée, les dents bien plantées, d’une belle forme et blanche comme l’ivoire. On observe chez leurs femmes quelques différences agréables : on admire principalement le contour gracieux de leurs membres, les proportions régulières de leurs mains et de leurs pieds, la fierté de leur démarche et de leur attitude.

Les Arabes Africains participent des précédens par l’ensemble des formes du corps, ainsi que par la couleur et la vivacité des yeux ; mais ils tiennent des habitans de la côte d’Afrique, par la forme de leur nez, de leur mâchoire et de leurs lèvres : leur caractère a beaucoup d’analogie avec celui des autres races d’Arabes. Ces Arabes Africains se sont répandus dans la haute Égypte, et ils y cultivent la terre et exercent des métiers comme les premiers.

Les Bédouins ou Arabes bergers sont généralement divisés par tribus éparses sur les lisières de la terre fertile, à l’entrée des déserts ; ils habitent sous des tentes qu’ils transportent d’un lieu dans un autre, selon le besoin. Ils ont quelques rapports avec les autres : leurs yeux sont plus étincelans, les traits de leur visage généralement moins prononcés, la forme de leur corps plus belle ; mais leur taille est plus petite. Ils sont plus agiles et fort maigres, quoique très robustes : ils ont l’esprit vif, le caractère fier ; ils sont méfians, intéressés, dissimulés, errans et vagabonds ; ils passent d’ailleurs pour bons cavaliers, et l’on vante leur dextérité à manier la lance et la javeline. Les mœurs et les usages de tous ces Arabes sont à-peu-près les mêmes ; ils élèvent des troupeaux de moutons, des chameaux et des chevaux d’une espèce très-recherchée.

La quatrième classe des habitans de l’Égypte, principal objet de mes recherches, est formée des Qobtes, qui se trouvent en grand nombre au Kaire er dans la haute Égypte. Ce sont sans doute les descendans des vrais et anciens Égyptiens : ils en ont conservé les formes physiques, le langage, les mœurs et les usages. Leur origine paroît se perdre dans les siècles les plus reculés ; ils existoient dans le Sa’yd long-temps avant Dioclétien. Hérodote assure que les Égyptiens descendent des Abyssins et des Éthiopiens. Tous les historiens s’accordent sur ce point avec Hérodote, et les recherches que j’ai faites à cet égard m’engagent à adopter cette opinion.

Tous les Qobtes ont un ton de peau jaunâtre et fumeux comme les Abyssins ; leur visage est plein sans être bouffi ; les yeux sont beaux, limpides, coupés en amande, et d’un regard languissant ; les pommettes saillantes ; le nez presque droit, arrondi à son sommet ; les narines dilatées, la bouche moyenne, les lèvres épaisses ; les dents blanches, symétriques et peu saillantes ; la barbe et les cheveux noirs et crépus. Les femmes présentent les mêmes caractères avec des modifications qui sont à leur avantage. Cela prouve, contre l’opinion de M. de Volney, que ces hommes ne sont point de la race des nègres de l’intérieur de l’Afrique ; car il n’y a aucune espèce d’analogie entre ces derniers individus et les Qobtes. En effet, les nègres Africains ont les dents plus larges, plus avancées, les arcades alvéolaires plus étendues et plus prononcées, les lèvres plus épaisses, renversées, et la bouche plus fendue ; ils ont aussi les pommettes moins saillantes, les joues plus petites et les yeux plus ternes et plus rondes, et leurs cheveux sont lanugineux. L’Abyssin, au contraire, a les yeux grands, d’un regard agréable, et l’angle interne en est incliné chez lui ; les pommettes sont plus saillantes ; les joues forment, avec les angles prononcés de la mâchoire et de la bouche, un triangle plus régulier ; les lèvres sont épaisses sans être renversées, comme chez les nègres, et, ainsi que je l’ai déjà dit, les dents sont belles et moins avancées ; les arcades alvéolaires sont moins étendues ; enfin, le teint des Abyssins est cuivré.

Tous ces traits se remarquent avec des nuances peu sensibles chez les Qobtes ou vrais Égyptiens ; on les retrouve aussi dans les têtes des statues anciennes, sur-tout dans celles des sphinx. Pour vérifier ces faits, j’ai recueilli un certain nombre de crânes dans plusieurs cimetières des Qobtes, dont la démolition avoit été nécessitée par des travaux publics. Je les ai comparés avec ceux des autres races, dont j’avois fait aussi une riche collection, sur-tout avec ceux de quelques Abyssins et Éthiopiens que je m’étois également procurés, et je me suis convaincu que ces deux espèces de crânes présentoient à-peu-près les mêmes formes.

La visite que j’aie faite aux pyramides de Saqqârah, m’a mis à portée de dépouiller un assez grand nombre de momies, dont les crânes m’ont offert les mêmes caractères que les premiers, tels que la saillie des pommettes et des arcades zygomatiques, la forme particulière des fosses nasales, et le peu de saillie des arcades alvéolaires.

Les divers parallèles que je viens d’établir, les relations qui ont toujours existé et qui existent encore entre les Abyssins et les Qobtes, la concordance de leurs usages, de leurs mœurs et même de leur culte, me paroissent suffisamment prouver que les Égyptiens descendent réellement des Abyssins et des Éthiopiens. De plus, il est naturel de penser que les Éthiopiens suivirent, dans les premiers temps, le cours du Nil, et qu’ils s’arrêtèrent à fur et mesure dans les pays que ce fleuve fertilise : mais ces établissemens n’ont eu lieu que d’une manière successive, de même aussi que ce peuple s’est étendu successivement d’Éléphantine à Thèbes, à Memphis et à Héliopolis ; les autres villes au-dessous de celles-ci ne se sont formées que long-temps après.

J’ai distingué également trois espèces de momies, qui m’ont paru appartenir à trois classes de citoyens, et peut-être à des générations différentes. Celles de la haute Égypte sont généralement plus belles et mieux soignées que celles de la basse Égypte. Les momies que je range dans la première classe, sont fermes, solides, enduites de bitume, embaumées avec la même substance, entourées de bandelettes de toile de lin, formant autant de bandages de chirurgie qu’il y a de régions dans le corps humain ; elles sont enveloppées dans un étui de carton, parsemé d’hiéroglyphes ; et toutes ces parties sont contenues dans une caisse de sycomore, sur le couvercle de laquelle est peinte l’image de la personne.

Il paroît, comme le dit Hérodote, qu’après avoir vidé les trois principales cavités de corps, on les remplissoit avec du bitume ; on en injectoit aussi les membres et toutes les parties extérieures ; et cette substance étant en pleine fusion, pénétroit si profondément dans ces parties, que les os en étoient infiltrés, de manière que ces corps ont pu et peuvent encore se conserver d’autant plus long-temps, qu’ils se trouvent dans un climat où il pleut rarement, et que les lieux où ils sont déposés sont très secs et dépourvus d’air. Après avoir enlevé les enveloppes aux momies de cette classe, on reconnoît d’abord le sexe et les principales formes de l’individu : la face, les mains et les pieds de quelques-unes d’entre elles sont recouvert de feuilles d’or artistement appliquées. C’est sous les bras ou dans le corps de ces momies, qu’on a trouvé ces écrits rares, connus sous le nom de papyrus, dont les caractères sont encore ignorés. Chacune de ces momies porte en outre les attributs de l’art ou de la profession que l’individu a exercé pendant sa vie, et ses ustensiles sont renfermés avec lui dans le cercueil. Ce premier genre d’embaumement, destiné aux principaux citoyens de l’État, exigeoit de longs et grands préparatifs, et beaucoup d’ingrédiens qui devoient le rendre fort dispendieux.

La seconde classe de momies étoit moins belle, moins parfaite ; les bandages étoient d’une toile moins fine, appliqués avec moins d’art. Ces momies n’avoient pas l’enveloppe de carton ; et le cercueil de sycomore qui les contenoit, étoit moins finement travaillé, et non orné de peintures, comme les cercueils de la première espèce.

Les individus de la troisième classe s’embaumoient à moins de frais, et le mode d’embaumement varioit à l’infini. Toutes les momies de cette classe ont été préparées avec des injections de matières salines et plus ou moins corrosives, faites dans les cavités du corps, telles qu’une dissolution de natroun ou sel marin : après avoir ainsi bien salé le corps, on les faisoit dessécher au soleil, ou on les exposoit à l’action du feu jusqu’à parfaite siccité ; on les enfermoit ensuite dans des caisses de sycomore taillées grossièrement. Toutes ces opérations étoient sans doute dirigées par des hommes versés dans la chirurgie.


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Pour compléter cette notice, nous allons y joindre le précis de la méthode à l’aide de laquelle nous avons embaumé, en Europe, les corps de quelques guerriers morts au champ d’honneur.

Si le sujet dont le corps doit être embaumé, est mort de maladie chronique avec marasme, pourvu qu’on ne soupçonne point de dépôts purulens dans les viscères, que la putréfaction ne soit pas déclarée, et que le corps soit intact à l’extérieur, on peut conserver les entrailles dans leurs cavités respectives, excepté le cerveau, qu’il faut toujours extraire. Dans cette supposition, on commencera à laver toute l’habitude du corps avec de l’eau pure et fraîche ; on fera passer dans les gros intestins des lavemens du même liquide, et l’on absorbera avec la seringue vide les matières délayées qui n’auroient pu sortir, à raison de leur propre poids et de la pression exercée sur le bas-ventre. On absorbera aussi les matières contenues dans l’estomac par le même moyen. Il suffiroit d’adapter une sonde œsophagienne au siphon de la seringue, qu’on introduit dans ce viscère par la bouche ou par une ouverture pratiquée à l’œsophage, au côté gauche du cou. On remplit ensuite l’estomac et les intestins d’une matière bitumineuse qu’on met en fusion : on bouche les ouvertures, et l’on procède de suite à l’injection du système vasculaire. Pur cela, l’on détache un lambeau de la partie intérieure et latérale gauche de la poitrine, vis-à-vis la crosse de l’aorte ; on coupe un ou deux des cartilages qui la recouvrent ; on place dans l’intérieur de cette artère un siphon à robinet, à la faveur duquel on pousse une injection fine, colorée en rouge, pour remplir les vaisseaux capillaires de tout le système membraneux ; on fait immédiatement après et par le même moyen une seconde injection plus grossière, pour remplir les artères et leurs ramifications, et une troisième pour les veines, qui doit être passée par l’une des crurales : on laisse refroidir le cadavre et figer la matière des injections. Pour vider le crâne, on applique une large couronne de trépane à l’angle d’union de la suture sagittale avec la suture occipitale, après avoir fait une incision longitudinale à la peau, sans toucher aux cheveux, qu’on a soin de conserver, comme les poils des autres parties du corps. Cette ouverture faite, on rompt les adhérences et les replis de la dure mère, à l’aide d’un scalpel à deux tranchans, long et étroit ; on arrache les lambeaux de cette membrane avec une érigne mousse, et l’on fait sortir toute la masse du cerveau et du cervelet avec le même instrument, et des injections d’eau froide, qui dissolvent promptement la substance cérébrale : on réunit ensuite les bords de la division des tégumens avec quelques points de suture.

Si le sujet se trouvoit dans un embonpoint plus ou moins considérable, et qu’il fût mort d’une maladie putride ou maligne, et pendant une saison chaude, il seroit impossible de préserver les entrailles de la putréfaction : dans ce cas, on les extrait par une incision semi-lunaire que l’on pratique au flanc droit, vers la région lombaire. On détache d’abord les intestins, l’estomac, le foie, la rate et les reins ; on coupe circulairement le diaphragme, puis le médiastin, la trachée-artère et l’œsophage, à leur entrée dans la poitrine, et l’on enlève le poumon et le cœur, sans altérer ce dernier organe, qui doit être préparé séparément et conservé avec soin. Ces deux cavités doivent être épongées, et l’on met une certaine quantité de muriate suroxigéné de mercure réduit en poudre sur les parties charnues de leurs parois ; on remplit ensuite ces cavités de crin lavé et sec ; on rétablit les formes du bas-ventre, et l’on fixe les deux bords de l’incision au moyen d’une suture à points passés ; enfin, on plonge le corps ainsi préparé dans une suffisante quantité d’une solution de muriate suroxigéné de mercure aussi forte qu’on peut l’obtenir. On le laisse tremper dans cette liqueur l’espace de quatre-vingt-dix ou cent jours. Lorsqu’il est bien saturé de cette dissolution, on le place sur une claie exposée à l’action graduée d’un foyer de chaleur établi dans un lieu sec et aéré ; au fur et à mesure que les parties se dessèchent, on rétablit les formes naturelles des traits de la face, la conformation des membres, et on leur donne l’attitude convenable ; on place deux yeux d’émail entre le globe rétracté de l’œil et les paupières ; on donne une teinte aux cheveux relative à leur couleur naturelle, si on le juge nécessaire, et l’on passe sur toute l’habitude du corps un vernis légèrement coloré, qui anime les teintes de la peau, et lui conserve l’aspect de la fraîcheur ; enfin, on met le corps sous verre, pour l’exposer au public, ou on l’ensevelit dans un cercueil. On peur perpétuer ainsi, pendant des milliers d’années, les restes des héros ou des grands hommes de l’État.